Interview de Yannick Brossard, Photographe automobile

Yannick Brossard est photographe automobile & lifestyle. Deux univers qui se rejoignent souvent. Son parcours, son travail, son identité visuelle, ses projets… Entretien à voir, écouter, lire et partager sans modération!

La photographie automobile, une passion ?

Disons que c’est le travail qui m’a amené vers la passion de la photographie automobile et à m’y spécialiser. J’ai commencé à faire de la photographie, d’abord corporate, pour la SNCF par exemple, où j’ai développé une thématique autour des femmes et hommes au travail. J’allais sur les chantiers, dans les usines des grands groupes industriels. C’est grâce à des contacts dans la retouche que j’ai collaboré avec des directeurs artistiques et que j’ai réalisé mes premiers travaux de photographe automobile.

Au début, j’étais spécialisé sur les véhicules industriels et utilitaires, puis j’ai évolué pour travailler aussi sur des véhicules destinés aux particuliers. Cela fait donc à peu près dix ans que je suis photographe automobile. En ne faisant plus de retouche photo pour les clients, mais en utilisant cette technique au quotidien dans mon travail. Ça permet par exemple de faire des projections et ainsi vite arriver à repérer ce qui me manque pour composer mon image. La maîtrise de cette technique apprise avant de devenir photographe est donc essentielle dans mon travail aujourd’hui.

Aujourd’hui, l’automobile représente quel pourcentage de votre activité ?

L’automobile représente 80% de mon activité. Je continue également à côté de faire des reportages industriels ou d’architecture avec des groupes comme la SNCF ou Bouygues, j’aime bien ça.

Dans ces 80%, les deux tiers sont liés à la publicité ou au marketing et le reste à des reportages au sein des sites industriels. Par exemple, j’ai travaillé sur des genèses de véhicule, comme la conception de l’Alpine A110 ou la Mégane RS en allant rencontrer les designers, photographier les véhicules en soufflerie ou lors des essais grand chaud/grand froid. C’est donc de la photographie comportant un mix d’industrie et d’automobile.

Qu’apporte à votre travail le fait de côtoyer les concepteurs d’un véhicule qu’on doit photographier ? 

Une plus-value. Ainsi, quand les concepteurs de la nouvelle Alpine A110 vous expliquent quels sont les points qui ont été pris de la Berlinette pour les rappeler sur l’A110, on sait mieux où appuyer, on repère mieux les lignes de carrosserie pour photographier le véhicule.

Ce qui m’a le plus marqué, c’est de rencontrer les maquettistes qui réalisent une maquette en clay des véhicules. Chaque trait à une incidence sur l’aérodynamisme ou le design et discuter avec ces personnes permet de comprendre comment la voiture a été modelée. Ou comment la lumière va se poser sur la carrosserie et dessiner les courbes. C’est extrêmement intéressant et c’est un plus vis-à-vis d’autres photographes parce qu’on a cette sensation d’avoir une vision plus globale du véhicule.

C’était la même chose lorsque j’ai travaillé sur la Renault Mégane RS dont j’ai suivi pendant plus d’un an les étapes de conception. On a d’ailleurs réalisé un film sur sa genèse reprenant des échanges avec les ingénieurs qui ont par exemple mis au point les quatre roues directrices. C’est un autre regard sur la voiture.

Qu’est-ce qui différencie votre travail ?

Je me situe dans une photographie simple, solaire et humaine. Ce qui m’intéresse aussi dans la voiture, c’est ce qu’il y a autour. A savoir la partie humaine, les gens qui conduisent la voiture ou l’architecture, le paysage, l’environnement dans lequel elle évolue. C’est aussi pour ça que je me suis spécialisé dans la photographie automobile : pour sa richesse. On ne photographie pas seulement une voiture mais une voiture dans un paysage avec une architecture, des gens qui la conduisent et un territoire, c’est à dire une appartenance marketing.  C’est vraiment ça qui me passionne contrairement à une photographie plus simple comme celle de la mode ou de l’architecture où on est centré sur un élément. La voiture, c’est complet.

Dans la photo, j’aime, la photo studio, la photo corporate, mais aussi la photo lifestyle pour capter l’image impulsive. J’ai besoin de me sentir en danger : une voiture, un décor, un comédien. Et à moi de savoir comment je vais réussir à sortir un beau projet !

Y a-t-il des clés à maîtriser pour bien prendre en photo une voiture ? 

Il y a bien sûr des techniques de base même si je pense qu’on commence à abandonner certaines techniques classiques de la photo automobile pour aller dans des images beaucoup plus impulsives. On chasse les artifices pour des images plus naturelles, plus lifestyle même s’il y a toujours de la retouche. On tend à montrer le véhicule tel que l’acheteur va le voir dans la rue pour sortir de ces images parfaites très lisses des années 1990, 2000. On le voit chez des constructeurs comme SEAT ou Volkswagen par exemple qui tendent vers des images très fraîches, pop, solaires.

C’est donc la fin de la photographie 3D ?

La 3D a eu un gros boom dans les années 2010. J’ai travaillé sur des projets de ce type pour Renault. Puis c’est vrai,  il y a eu un déclin. Mais elle revient aujourd’hui avec de nouvelles techniques qui permettent des rendus bien plus naturels. Pour certains projets, la 3D conserve notamment certains avantages tels que mieux maîtriser la confidentialité par exemple. On peut travailler sur un véhicule sans prendre le risque d’utiliser une voiture bâchée ou des fuites industrielles. Je travaille par exemple sur un projet Renault Trucks en prévision de futurs lancements de véhicule. Et donc on commence à faire des back plates pour pouvoir intégrer des camions et respecter la confidentialité tout en ayant une liberté créative assez forte.

Justement quand on est photographe automobile, comment gère-t-on cet aspect de la confidentialité ?

D’abord, on s’y engage contractuellement. Il faut être extrêmement vigilant en utilisant que des serveurs et éléments sécurisés. C’est d’ailleurs souvent le constructeur qui met à disposition ce type d’outils. C’est en effet un élément important de la confiance qui nous lie avec le constructeur. Hors de question de partager des images avec des médias même s’ils nous sollicitent.

Pour parler concrètement, lorsque je réalise des images de l’Alpine A110 en essais soufflerie à Saint-Cyr, je fais attention à ce que rien ne filtre, en ne laissant aucune image sur mon ordinateur par exemple.

Avec quelle structure travaillez-vous ?

J’ai une structure un peu particulière avec un statut d’artiste auteur puisque c’est mon travail de photographe/réalisateur. En parallèle, je collabore avec un groupement de créatifs à Montpellier et cela nous permet de faire du motion design, du montage, j’ai un chef opérateur et on a un studio de son. Je peux ainsi répondre à des projets simples comme plus importants avec l’équipe qui m’accompagne. J’ai également des partenariats avec des sociétés de production qui elles produisent du contenu. Ce sont elles qui vont gérer les besoins en comédiens, décors, stylistes ou autres. Moi je garde vraiment la partie créative de la photographie et de la direction de film tout en m’impliquant dans toute la chaine du projet.

D’ailleurs, le film c’est à peu près 15% de mon activité et ça se développe de plus en plus. Avec Renault on a mis en place tout un système pour les films accessoires. C’est un plus pour le client d’avoir une seule et même personne qui est en charge de la photo et de la vidéo. Ça permet d’avoir une meilleure cohérence et une identité globale entre le film qui va sortir et la photographie.

Quels sont vos clients ?

Je collabore avec des constructeurs (Renault, Renault Trucks, Jeep, Volvo,…), leurs agences de communication (Publicis, Publicis Conseils,..), ou boîtes de production (Prodigious,..). Récemment, j’ai fait un travail pour TBWA et MINI France.

Certains distributeurs autos commencent également à me contacter. Je suis d’ailleurs convaincu qu’il y a des choses à leur proposer et qu’on peut apporter le savoir-faire d’une communication nationale à un distributeur automobile pour mettre en avant un véhicule dans un environnement local. La photo de véhicules d’occasion est un bon exemple. Il y a un vrai manque et on peut amener aux distributeurs des photos de meilleure qualité sur leurs véhicules d’occasion. Ce qui est forcément au bénéfice de la vente de ces véhicules, surtout quand on connaît l’impact de l’image sur la vente d’un produit.

Les distributeurs automobiles ont-ils des freins à faire appel à un photographe ?

Le premier frein, c’est l’argent. Tant qu’un dirigeant n’a pas compris l’utilité d’investir pour mettre en valeur les véhicules qu’il présente, tant qu’il ne perçoit pas l’importance qu’une belle photo peut avoir sur la vente d’un véhicule, ça ne peut pas fonctionner. Mais dès lors qu’un concessionnaire enclenche le mouvement, alors ces confrères le suivent.

Mais c’est vrai, il y a un coût pour photographier un parc de véhicules d’occasion de cent voitures. La somme à investir peut paraître importante. Mais il y a aussi une méconnaissance de la photographie automobile et une image de cherté pas justifiée. Travailler pour mettre en avant des véhicules en concession est un travail plus simple et qui coûte donc bien moins cher qu’une campagne nationale pour un lancement d’un véhicule. Le rendu ne doit pas être le même. Le projet non plus.

Pourriez-vous nous parler d’un projet qui vous tient à cœur ?

Il s’agit d’un projet réalisé l’année dernière pour la nouvelle Renault Clio. Nous sommes partis en Afrique du Sud pour réaliser les photos du catalogue marketing, accessoires, et aussi réaliser un film. C’est un projet qui m’a bien plu car il y avait une écriture de film, on avait une bonne équipe sur place et les photos comme le film ont été très appréciés. Cela m’a d’ailleurs permis d’obtenir sur Behance un prix dans la partie photographie automobile. En bref,  le bon projet avec une bonne équipe d’agence et une bonne relation avec les clients. 

En regardant les photos et le film, on a une vraie cohérence globale. On a eu du temps pour faire des images marketing très léchées et du temps pour faire des photos lifestyle avec les comédiens. Ce qui a permis d’équilibrer le reportage avec les six visuels majeurs très importants pour le catalogue et une quinzaine d’images lifestyle très solaires et humaines. Tout s’est bien complété. Ce projet a été utilisé par Renault pour des catalogues, sur le site internet et pour de la PLV en concession.

Combien de temps en amont préparez-vous un projet comme celui-ci ? 

Un projet de ce type se prépare environ un mois et demi à deux mois en amont. Notamment pour le film : il y a une écriture puisqu’on nous donne les éléments à mettre en avant, un décor envisagé et un nombre de comédiens. Et moi, il faut que je trouve à raconter une histoire autour de cela. Il y a un jeu d’allers-retours entre l’agence et le client pour bien s’accorder.

Vous travaillez aussi avec Renault Trucks. C’est quoi la particularité de photographier des camions ?

Ça peut paraître évident, mais pourtant : c’est la taille ! On peut vite se faire avoir par la taille qu’un camion prend dans l’environnement ou dans le cadre. J’ai développé une belle relation avec les services marketing et de production audiovisuelle interne de Renault Trucks. On me demande mon avis sur le territoire, l’environnement, les comédiens, la rédaction du cahier des charges. C’est un vrai travail en symbiose.

J’y ai d’ailleurs une double activité : des travaux marketing et corporate. L’an passé par exemple, je suis parti en Ouganda, en Cote d’Ivoire et au Maroc. Je rencontrais des chauffeurs de camion, passais du temps avec eux pour les prendre en photos. Tout ça pour raconter leur histoire et raconter l’histoire de Renault Trucks dans un pays. Ce qui a permis de créer une banque images d’implantation du constructeur.

J’ai aussi rencontré les designers du site de Saint-Priest pour qu’ils racontent leur travail que j’ai photographié et expliquent les problématiques de conception d’un camion. Sur la partie marketing, j’ai réalisé des campagnes de publicités et des catalogues.

Avez-vous le souvenir d’un projet complexe ou différent des autres à gérer ? 

Un projet différent qui m’a bien plu : l’an passé, l’entité de la communication Renault m’a contacté pour un projet sur les essais de l’Alpine A110S. Le brief était simple : « tu vas partir deux jours avec un chef opérateur, il faut nous ramener un bobino vidéo et un reportage photos, comment vois-tu ce projet-là ? ». Je me suis associé avec un régisseur, me suis occupé de la partie repérage et régie en ayant la main sur le projet dans sa globalité. Puis j’ai choisi un retoucheur, un monteur, un chef opérateur. Et nous sommes allés sillonner durant deux jours les routes du Portugal pour ramener un reportage qui a beaucoup plu et a eu de très bons échos. Et j’ai vraiment apprécié cette grande liberté, la relation de confiance avec le client : c’est là où je me révèle le mieux. Dès qu’il y a trop de strates, ça peut nuire à la créativité.

Une anecdote à nous raconter ? 

Il y en a toujours ! Un changement de décor à la dernière minute, une voiture qui ne démarre pas – car on travaille souvent avec des prototypes ou des pré-séries -, un système CarPlay à photographier mais qui ne fonctionne pas… . Ou une batterie qui se vide car on doit photographier la signature lumineuse du véhicule… Il arrive toujours quelque chose. Mais la débrouille fait partie des charmes du métier, il faut savoir improviser!

Les constructeurs font de plus en plus appels à des influenceurs pour des projets. Notamment des influenceurs Instagram. Comment voyez-vous cela ?

La photographie automobile a beaucoup évolué. On est dans des images impulsives, émotionnelles. C’est aussi une bonne chose que les constructeurs fassent appels à d’autres profils. Ça nous oblige à nous renouveler, ça nous fait évoluer. Par ailleurs, c’est très différent. Ils font appels à des influenceurs pour des projets one shot ou bien précis. Un photographe a de l’expérience pour gérer un projet complexe de A à Z, en intégrant la compréhension industrielle et respecter un cahier des charges. Il est intégré au projet. Il n’y a donc pas vraiment de concurrence. C’est plutôt sain.

Quels sont vos projets futurs ?

J’ai commencé à travailler sur des repérages pour des futurs lancements. Et ensuite, je vais m’occuper de toute la partie artistique sur un projet. C’est un projet sur toute l’année pour un reveal des véhicules en 2021. Il y a une trentaine d’images à réaliser, et environ 15/20h de travail par pour chacune.

Je veux bien entendu continuer dans la photographie automobile. Je travaille et aimerais développer des projets internationaux. Pourquoi pas avec des constructeurs nouveaux pour moi comme Volkswagen, SEAT, Audi… ou d’autres qui cherchent à s’implanter. De plus, j’ai l’avantage de parler couramment anglais ou espagnol.

Merci à Yannick Brossard pour son temps et sa disponibilité. Découvrez son travail sur son site. 
Merci également à Audio Workshop et Motions.fr pour la réalisation de l’interview filmée.

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