Il se décrit comme “Silver geek” passionné de technologies, de marketing, d’automobile et de stratégie, heureux et chanceux de vivre une époque de profonds changements. Sa conviction lui vient d’Alfred Chandler : “Vous ne pouvez pas faire le travail d’aujourd’hui avec les méthodes d’hier et être encore dans le business demain“. Entretien avec Eric Saint-Frison, véritable car & digital guy bien connu de la filière auto.
AUTOMOTIVE MARKETING (AM) : En quelques mots, pourriez-vous nous parler de votre parcours professionnel et de vos activités actuelles?
Eric SAINT-FRISON (ESF) : Un parcours 100% automobile. Débuts en concession à Paris (Alfa Romeo), 4 ans chez un pétrolier à vendre des lubrifiants à des garages (Opal / Shell). Ensuite, 20 ans chez un constructeur auto international, Ford, en travaillant sur trois zones de travail : France, Europe et Mexique. Puis 13 ans de conseil et d’accompagnement de la transformation digitale du monde automobile. Dont 3 avec l’Argus et bientôt 4 aux côtés de CGI Finance.
J’ai eu la chance de toucher à tous les secteurs de la filière, en amont et en aval. Cela m’a donné une vision panoramique, ouverte sur l’ensemble de ses contraintes et ses opportunités.
Aujourd’hui j’accompagne CGI Finance (NDLR : spécialiste du financement auto) pour le développement des outils digitaux au service des business du groupe.
AM : Quel regard portez-vous sur la transformation digitale de la distribution automobile? Et quels enseignements retenir de la période actuelle qui accélère ce phénomène?
ESF : Le monde de la distribution auto n’échappe pas aux principes de transformation de toutes les filières quand le digital devient une composante clé. Et dans notre univers le modèle est totalement respecté :
1/ Emergence digitale initiale :
Que nous avons vécu début des années 2000. Tout le monde se cherchait, les technologies n’étaient pas optimales, les constructeurs ne faisaient pas grand chose d’intelligent et les distributeurs considéraient dans leur quasi totalité que c’était trop compliqué pour eux.
2/ Eveil du public :
ès que le grand public a été alerté par des offres web qui ont commencé à émerger, principalement par le biais de marchands VO, de mandataires et des grands portails VO, la distribution a réalisé que le digital était une composante importante.
3/ Nouveau Rapport de Force :
Ces fameux portails VO (infomédiaires), certains gros marchands et les constructeurs ont ensuite investi beaucoup d’argent pour tenter de s’emparer du Graal qu’est la position 1 en haut de la page 1 des résultats de recherche de Google. Et certains groupes de distribution ont également construit des outils permettant une réelle visibilité. Quelques uns avec succès, d’autres moins … Car construire une plateforme web, simple catalogue en ligne ou plus complexe avec les fonctionnalités de e-commerce c’est plus compliqué qu’il n’y paraît.
4/ Arrivée des géants :
C’est vraisemblablement la période actuelle. Le nom du ou des géants n’est pas encore totalement connu, mais certains sont bien positionnés pour dominer le marché. Je crois que nous verrons dans les 18/24 mois se dessiner le profil de ces nouveaux géants qui domineront la filière. Et la composante distribution est essentielle à la construction d’un acteur dominant. Comme la maîtrise de la logistique qui est un élément toujours intégré aux succès du e-commerce.
5/ Intégration verticale :
Phase ultime de toute transformation digitale, ce sera le moment où un acteur sera en mesure de contrôler l’amont (la source des véhicules), la distribution (directe ou indirecte), le commerce (en ligne ou pas), l’entretien, l’assurance, … Qui pourrait arriver à cela ? Un constructeur, un e-commerçant de grande taille, un « disrupteur » ? Je ne suis pas capable de le dire, mais certains signaux pas si faibles que cela semblent indiquer que nous pourrions avoir des exemples de cette intégration sous peu. La voiture électrique étant le possible « cheval de Troie » de ce type de modèle dans lequel le business est remodelé dans toutes ses composantes.
AM : Est-ce finalement « facile » de vendre des véhicules sur internet? Les concessions automobiles sont-elles vouées à disparaitre?
ESF : Deux fois NON, et deux fois MAIS …
Non ça n’est pas simple de réellement vendre des biens d’équipement de 15, 25 ou 50K€ sur un site web. Rappelons qu’après l’achat de sa résidence, celui de l’automobile est le plus important de la vie d’un consommateur. Il y a donc par définition une prudence de l’acheteur. Et un besoin de sécurisation, de réassurance. Mais une partie de plus en plus importante des consommateurs est prête à acheter une voiture en ligne, cela restant certes minoritaire mais en croissance continue depuis des années.
Et non, les concessions ne sont pas appelées à disparaître. Le besoin de réassurance rend essentiel pour de nombreux consommateurs l’existence de points de vente / après-vente dans lesquels la relation avec les équipes reste fondamentales.
Mais ces concessions ont par contre une obligation de transformation. D’adaptation aux attentes des consommateurs pour des expériences d’achat plus positives. Le temps est définitivement révolu où traiter son client avec mépris, dédain ou je-m’en-foutisme était encore imaginable.
La croissance ininterrompue des solutions de partage d’information, les sites de notation des expériences vécues, rendent obligatoire un travail de fond sur l’expérience des clients.
Non, les concessions ne sont pas appelées à disparaître.
AM : Certains groupes (NDLR : VW, PSA, Renault,…) ne se décrivent plus comme des constructeurs automobiles mais comme des fournisseurs de mobilité. Qu’en pensez-vous? Et finalement, la mobilité au sens large ne serait-elle pas l’avenir de l’automobile?
ESF : Acronyme super à la mode que la “MaaS”, Mobility as a Service. Et vraiment d’actualité. Possession ou usage ?
Flexibilité, adaptabilité, des qualificatifs qui collent aux contraintes de la vie urbaine moderne dans les pays riches.
Consommer via un forfait un bien ou un service est devenu banal. Cela a commencé avec la téléphonie, puis beaucoup d’autres services se sont transformés dans des modes d’usages comme la télévision, Internet, les produits culturels et les transports publics par exemple. Le passage à des impôts mensualisés prélevés à la source participe à ce changement d’habitude ou l’on paye de façon régulière.
Alors pourquoi pas à la voiture.
C’est clairement l’avenir d’une partie du monde auto dans les pays à économies matures. Dans les autres j’y crois moins. Le besoin de possession est assez lié à la maturité des économies.
L’émergence puis la nette domination de la vente de voitures neuves en LOA, et désormais des VO avec le même mode de financement participe à l’accroissement de la consommation «forfaitisée ».
AM : Vous êtes très présent sur les réseaux sociaux (RS). Quelle utilisation en avez-vous?
ESF : A titre personnel, on trouve de tout sur les RS. Du très bon, et beaucoup de très mauvais. J’essaye de me concentrer sur ce qu’il y a de mieux. Et surtout de comprendre ce qui sert à quoi. Dans mes communication personnelle, je suis très attentif à mes contenus, aux publics auxquels je m’adresse et j’essaye d’anticiper les risques potentiels de poster ou diffuser un contenu particulier.
Par exemple, sur Facebook vous ne trouverez jamais rien de vraiment personnel. Ni photos de la famille, ni informations sur mon domicile. Rien de très utile en fait.
Sur Twitter, je ne diffuse que des contenus pros, et je relaye des Tweets de gens dans lesquels j’ai une grande confiance quant à la qualité de leurs informations.
Enfin sur LinkedIn j’essaye de partager des expériences professionnelles. Ou des innovation automobile, marketing et des technologies qui m’intéressent comme l’avenir des motorisations.
Sur un plan pro, à condition de savoir les utiliser correctement, les RS permettent un marketing très ciblé, sur des groupes de consommateurs partageant les mêmes centres d’intérêt : ce que l’on appelle des « jumeaux marketing ». Cela donne une efficacité à des campagnes à la fois accessibles en prix et aux taux de conversion élevés. Donc efficaces.
AM : Pour finir, et mieux vous connaître. Trois phrases à compléter, spontanément :
- l’automobile, pour vous, c’est plus que jamais… un droit pour pouvoir se déplacer librement, quand on veut, où on veut et avec qui on veut.
- votre meilleure voiture du quotidien… ma Smart de 2007. Pas confortable, bruyante, économique mais si pratique à Paris.
- votre rêve automobile, s’il existe, c’est … Zéro hésitation : Ford GT. Un bijou absolu. Couleur d’une GT 40 ayant gagnée le Mans (avec une préférence pour la noire à bande argent. Et 60 ou 72 points sur mon permis de conduire parce que j’utiliserai le V8 de 550 cv …
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