Fort d’une longue expérience dans l’industrie automobile, Yves Pasquier-Desvignes a pris la Présidence de Volvo Car France depuis un an et demi. Alors que le constructeur suédois progresse sur le marché du premium et a dépassé pour la première fois en 2015 les 500 000 ventes dans le monde, c’est l’occasion de faire un point sur la situation de Volvo Car dans l’Hexagone. Entretien.
Yves Pasquier-Desvignes, Président de Volvo Car France.
Automotive Marketing : Bonjour Yves. Afin de mieux vous connaître, pourriez-vous svp en quelques mots nous présenter votre parcours dans l’automobile ?
Yves Pasquier-Desvignes : Contrairement à d’autres, je n’ai aucune histoire familiale dans l’automobile, pas de garagiste ou de concessionnaire parmi mes proches, et ça fait maintenant 28 ans que je travaille dans l’automobile. Je suis tombé dans la marmite un peu par hasard puisque j’étais dans les médias et je travaillais au lancement de la chaine de télévision La Cinq à sa création. C’est indirectement par ce côté là que je suis entré en contact avec BMW qui cherchait quelqu’un au marketing et à la communication et, depuis ce jour-là, je suis resté dans l’automobile. C’était une époque où le marché du travail était très ouvert et on pouvait faire ce qu’on voulait. Et puis commencer chez BMW, c’était sympa, une marque fantastique qui attirait beaucoup. J’y suis resté 7 ans exclusivement au marketing et à la publicité et puis mon sentiment a été qu’il ne fallait pas s’enfermer dans une discipline : j’ai ensuite voulu évoluer en faisant le tour de tous les métiers de l’automobile. J’ai été Responsable de Région, Conseiller de gestion, Conseiller Développement Réseau,… en siège et en région. Je suis aussi passé par l’après-vente et ai travaillé aussi bien dans des marques premium (Alfa Romeo, Chrysler, Jeep) que généralistes. Les opportunités se sont présentées au fur et à mesure car lorsqu’on travaille en France dans des filiales de constructeurs importés, le système hiérarchique est assez court. A part la Finance, j’ai fait tous les métiers de l’auto, que ce soit au sein de BMW, du groupe Fiat, de Chrysler-Jeep, General Motors et aujourd’hui Volvo. Un parcours complet donc pour présider aujourd’hui aux destinées de Volvo Car France.
Si je devais définir finalement mon parcours dans l’auto, il se situe plutôt autour de la passion du management et de l’industrie que celle de la voiture en tant que telle. La technique ou la technologie m’intéressent mais sans être les piliers de ma motivation.
AM : Vous avez une longue expérience dans l’automobile. Cela fait maintenant un an et demi que vous êtes à la tête de Volvo Car France. Quel premier bilan tirez-vous de ces 18 mois écoulés ?
YP-D : J’arrive à un moment intéressant pour la marque, en pleine mutation. Elle a été reprise par un nouvel actionnaire en 2010 (NDLR : Geely) et c’est maintenant, depuis un an, que les efforts deviennent visibles et payants et qu’on peut lever la tête et regarder vers l’avenir car la révolution est en marche. C’est une marque qui a eu du mal à croire en son avenir car elle a été malmenée par son histoire avec des fusions avortées, la reprise par un grand constructeur (NDLR : Ford), …. Mais aujourd’hui, les salariés y croient, le management change, il y a une vraie vision et c’est intéressant d’arriver à ce moment-là car on va construire sur une promesse qui tient la route. Le plan produit arrive, la technologie est là, les promesses sont concrètes et c’est assez grisant de travailler dans un contexte pareil, c’est porteur. J’arrive qui plus est à un moment où le cycle bas du marché a été atteint, les indicateurs sont au vert pour la marque comme pour les marchés.
AM : Volvo, c’est très différent des constructeurs pour lesquels vous avez travaillé par le passé ?
Y P-D : C’est très différent de mon expérience précédente car j’étais chez un généraliste où il fallait faire du volume. Là, je retrouve ce que j’ai connu dans le premium. Des volumes et un réseau plus réduits que l’on est en train de pérenniser et auprès duquel on a recréé la confiance. Volumétrie, esprit du réseau et esprit de marque sont en train de prendre un grand un virage.
Yves Pasquier-Desvignes aux côtés du nouveau Volvo XC90.
AM : En 2015, les résultats de Volvo Car France affichent une progression de 11,4%. Quel regard portez-vous sur l’année écoulée ?
Y P-D : On est en train de tenir nos promesses. On s’était fixé un challenge en début d’année : faire aussi bien sur toutes les lignes de produits classiques et gagner en croissance avec les nouveautés. Le pari est tenu sur les modèles existants, ils ont gardé le même volume que l’année dernière, voire progressé un peu. V40 va être étale et le XC60 continue de progresser de 11,4%. Le volume additionnel devait venir du XC90. C’est un carton plein en termes de prises de commandes, moins en livraisons à cause de problématiques d’approvisionnement : le véhicule est un succès planétaire et on manque donc de productions. Ce qui nous a pénalisés en facturations et livraisons sur 2015. On avait été très ambitieux et on aurait pu faire mieux si les usines avaient pu fournir les capacités que nous avions demandées.
AM : Il vous a donc manqué quelques XC90 pour atteindre l’objectif que vous vous étiez fixé. (NDLR : les 15 000 prises de commandes Volvo ne sont pas atteintes sur 2015) Le véhicule semble en effet rencontrer le succès sur l’ensemble des marchés. Quel premier bilan pour le XC90 en France ? (mix finitions, motorisations,…) et quel volume visez-vous pour ce modèle en 2016 ? (NDLR : lire notre essai du XC90 ici)
Y P-D : On termine 2015 à environ 14 700 prises de commandes. Nous en sommes satisfaits. L’image de marque progresse, le réseau est heureux car son CA et sa rentabilité s’améliorent, le nouveau XC90 rencontre un accueil exceptionnel. Les prochaines années verront apparaître une succession de nouveaux produits, tout cela est très encourageant.
Sur XC90, le premier bilan est excellent. Une bonne surprise est qu’on a vendu du très haut de gamme, ça a été la majorité des ventes de l’année. Le produit est très bien reçu par la clientèle, la presse nous a gratifié de nombreux prix en France, en Europe et dans le monde. Le XC90 cumule près de 53 prix et reste encore en lice pour l’élection de la Voiture de l’année. Donc ça s’est bien passé. La bonne nouvelle est que nous faisons aussi de la conquête. C’est un peu ce que nous avions prévu car notre parc de XC90 s’est réduit ces dernières années.
Le nouveau Volvo XC90 a reçu le titre de Voiture de l’année 2015 aux
Awards de l’innovation du magazine Auto Moto.
AM : Comment votre clientèle historique perçoit-elle les changements opérés par Volvo et son positionnement plus premium ?
Y P-D : Nous n’avons aucun problème sur le segment du SUV premium XC90 car c’était déjà son positionnement auparavant. Nous avons peut-être perdu quelques clients car ils ont renouvelé une fois, deux fois puis sont allés à la concurrence. Il faut donc les faire revenir. Mais la légitimité premium avec le XC90 n’est pas compliquée. La question ne se pose pas plus sur le XC60. Il est vu comme un SUV compact premium également. Le débat se pose plus sur les segments C et D des berlines où nous sommes perçus comme access premium et il faut donc installer notre légitimité avec beaucoup de communication. Le poids de l’histoire est assez fort. Volvo a un passé dans les grosses voitures et les breaks, nous n’aurons donc pas de mal à y installer des modèles (NDLR : Futur Volvo V90). L’histoire est moins forte sur les gammes inférieures. Il faut donc communiquer sur le produit d’une part, mais aussi à travers la communication corporate pour continuer d’installer l’image.
AM : Etes-vous satisfait des performances de la compacte V40 ?
Y P-D : On maintient son niveau de ventes (NDLR : 3 332 V40 et 1 193 V40 Cross Country en 2015) mais on pourrait faire mieux. On peut encore aller chercher du volume. La difficulté est que c’est un segment très concurrentiel sur lequel les marques françaises sont très présentes. C’est donc un segment tiré vers le bas en termes de prix et de marge. On estime donc qu’il faut batailler car il y a un potentiel sur cette voiture et cela suppose des ressources pour communiquer plus. La presse et les RP ne peuvent pas faire le même travail sur V40 que ce qu’ils ont pu faire sur XC90 ou S90. La V40 a moins de visibilité naturelle, il faut investir et augmenter notre part de voix (NDLR : la V40 fait d’ailleurs l’objet d’une campagne TV avec un prix à partir de 19 990€ tout le mois de janvier).
Yves Pasquier-Desvignes aux côtés de Nathalie Duneau, Directrice Marketing
de Volvo Car France et la Volvo V40 Cross Country.
AM : Quelles sont les perspectives 2016 selon vous ? Pour le marché français, européen ? Et pour Volvo Car ?
Y P-D : On pense que le marché va progresser, autour des 1,950 millions de VP. Le marché du premium va lui aussi être en progression grâce à l’arrivée d’un grand nombre de nouveautés. On est optimiste sur le marché et Volvo va continuer à assurer sa progression. Le XC90 sera disponible dans toutes les versions tandis que la S90 et un autre produit (NDLR : le break V90) vont également arriver.
AM : A quelques mois de son lancement, quelles sont les perspectives pour la nouvelle berline S90 ?
Y P-D : Le segment sur lequel elle va évoluer est assez réduit en France et elle se situe clairement au-dessus de la S80 en termes de positionnement. La légitimité sur le positionnement premium luxe va être immédiate. Le meilleur des meilleurs de nos concurrents vend un peu plus de 2000 unités sur ce marché et majoritairement en location courte durée. On vise donc, en année pleine, entre 600 et 1000 voitures. Ce ne sera pas notre objectif de 2016 puisqu’on arrivera dans la 2ème moitié de l’année. On repart d’une page blanche avec la S90. On est vraiment sur la catégorie Audi A6, BMW Série 5, ce que ne pouvait pas réellement prétendre la S80.
Nouvelle berline Volvo S90.
AM : Quand on s’appelle Volvo, n’est-il pas difficile d’exister sur le marché français face aux poids lourds du premium que forme le trio allemand Audi/BMW/Mercedes ?
Y P-D : Si, mais il faut trouver le terrain d’expression différenciant. En France, le marché du premium est assez dynamique mais aussi assez réduit. On se situe dans une tranche de 150 000 voitures et avec 14000 immatriculations, on est petit. Notre terrain d’expression c’est le premium luxe, mais du luxe non ostentatoire avec des vraies valeurs de marque à défendre autour de la technologie, de la sécurité et beaucoup aussi autour de l’innovation et de la conduite autonome. Nous avons là un vrai leadership avec une forte technologie embarquée et de nombreux processus de tests qui sont en cours en Suède au travers de partenariats avec des universités et même des prises de positions légales sur ces environnements de conduite autonome.
AM : Récemment, le groupe a annoncé la vente prochaine de véhicules sur internet. Quand cela sera-t-il effectif ? Quelle stratégie mettez-vous en place pour cela ? Et qu’en pense votre réseau de distribution ?
Y P-D : Le principe c’est de dire qu’il existe et qu’il existera définitivement des clients qui n’achèteront que par ce canal. Il n’y en aurait qu’un seul, nous voulons répondre à ses attentes. Voilà tout le principe de notre démarche. C’est d’être prêt maintenant sur ce qui sera inéluctable dans cinq ou dix ans. On travaille à capter les générations futures qui sont nos clients d’après-demain. On ne révolutionne pas le marché, on n’a aucune intention de réduire notre réseau ou de le priver de ce commerce. Mais ce client qui refuse de passer par un réseau traditionnel, nous voulons être en mesure de lui proposer la bonne offre au bon moment. Nous avons déjà fait des tests, en lançant par exemple une série limitée XC90 sur internet mais bien entendu la livraison, le back office, la mise en main … continuent d’être assurées par notre réseau. Ces ventes sont d’ailleurs restées confidentielles en termes de volume.
D’ailleurs, notre réseau a bien perçu cette annonce : cela les a amenés à une réflexion sur demain, dans des proportions raisonnables. Ils font déjà une bonne partie de leurs ventes de véhicules d’occasion via internet, c’est un outil qui marche très bien. La démarche est donc comprise et nous l’avons beaucoup expliquée pour les rassurer car 90% du trafic showroom est déjà une 2ème visite puisque 90% de nos acheteurs ont consulté internet avant leur achat.
AM : A propos de votre réseau. Vous avez commencé le déploiement de nouveaux standards de marque. Où en êtes-vous ? N’est-il pas difficile de demander en ce moment à un réseau d’investir alors que la rentabilité des réseaux automobiles n’est pas aussi bonne que par le passé ?
Y P-D : On ne peut pas se contenter de dire qu’on change les standards ou les normes, il faut l’expliquer et apporter la vision de la marque et son plan produits pour rassurer un réseau. Je ne vais pas vous dire que ça a été simple immédiatement car on ne l’avait peut-être pas assez expliqué mais aujourd’hui, la question est presque réglée puisque 100% des investisseurs ont signé leurs plans d’architecte, de financement et la période sur laquelle ils vont faire les transformations, avec un plan de déploiement débuté en 2015 et qui s’achèvera au plus tard en 2018. Ainsi, 100% des sites seront aux normes VRE (Volvo Retail Experience) qui comprend un nouvel habillage interne et externe. Cela s’est fait au cas par cas avec flexibilité afin de s’adapter à toutes les contraintes. Les investissements sont importants mais beaucoup arrivent à la fin des investissements précédents et la rentabilité du réseau s’améliore. Donc on leur apporte une promesse de CA et de rentabilité qui va financer cette mise aux normes. En termes de rentabilité, il est trop tôt pour annoncer des chiffres mais l’année dernière, elle était de 1,5% du CA avant impôt et pour 2015, ce sera bien meilleur !
Concession Volvo Félix Faure de Lyon Vénissieux aux nouveaux standards VRE.
AM : Volvo Car est très présent sur le digital. Est-ce un moyen d’accompagner la révolution de votre image de marque ? Et si oui, comment cela se matérialise-t-il ?
Y P-D : Digital et communication classique ne vont pas l’un sans l’autre. On peut se dire qu’il faut tout miser sur le digital car il touche beaucoup plus de monde tout en étant moins coûteux. C’est une erreur dans laquelle il ne faut pas tomber parce que la communication classique est absolument vitale pour générer du trafic, de l’empathie vis-à-vis de la marque et faire du business. Le digital est un complément très efficace à la partie commerciale et tactique. Le digital et le social media ne peuvent pas tout remplacer. C’est plus long, cela ne s’adresse pas aux mêmes tranches d’âges mais cela peut avoir des effets collatéraux. Les personnes que l’on vise ne sont pas forcément acheteuses mais ont un effet d’influence sur les acheteurs. On investit beaucoup et de plus en plus sur le digital pour l’aspect commercial et sur les réseaux sociaux pour générer de l’empathie, de la désirabilité, de la visibilité et expliquer notre démarche de marque.
Nous avons encore des progrès à faire pour générer des contacts clients et ensuite bien les gérer mais j’en reviens à mon point de départ, il faut continuer à investir sur le digital mais avec l’aide de professionnels car on ne s’improvise pas dans ces métiers là, il faut des experts qui savent parler à ce type de population qui interagit avec la marque. Nous faisons également beaucoup de veille car dès qu’une question apparaît, il faut y répondre immédiatement pour ne pas avoir d’effet boule de neige en faisant également appel à une agence spécialisée dans ce domaine.
Compte Twitter de Volvo Car France.
AM : A propos de cet acheteur, comment perçoit-il le fort contenu technologique de vos véhicules ?
Y P-D : Je ferai deux commentaires : oui les voitures sont de plus en plus sophistiquées et oui, il faut plus de temps pour tout expliquer mais ça n’est pas un axe de communication prioritaire pour nous. Il faut avoir d’autres valeurs à défendre et surtout mettre en avant les bénéfices de la technologie qu’on apporte, plus que la technologie en elle-même. La clientèle premium est bien entendu sensible au contenu technologique, mais elle achète aussi nos modèles pour les valeurs véhiculées par la marque telles que le bien-être à bord, la sécurité, l’inter-connectivité,… . En revanche, elle peut poser des questions pointues et pertinentes et il faut que notre réseau soit formé pour y répondre.
AM : Quel est le profil du client type Volvo ?
Y P-D : On est trop petit pour répondre à votre question. Sur la partie fleet, on était très fort historiquement en PME, PMI et professions libérales et on est en train de battre des records en moyenne et grande société. L’arrivée de nouvelles voitures et de moteurs plus performants nous fait rentrer dans des parcs d’entreprise plus importants.
La part à particulier, qui se situe à 27% du mix total, est un peu faible et on doit améliorer nos positions. Dans le premium, il faudrait plutôt être à 35%. Ce n’est pas 50% comme pour les marques généralistes plus fortement présentes sur les segments A et B. Pour séduire le particulier, il faut faire beaucoup de communication. On vise alors tous les particuliers quelle que soit leur tranche d’âge, même si bien sûr on s’adresse à une clientèle avec un plus fort pouvoir d’achat que la moyenne. Nos origines de clientèles sont très diffuses, tant en provenance de marques premium que généralistes.
AM : Volvo prévoit-il de descendre en gamme ?
Y P-D : Non, en tout cas pas au cours des cinq prochaines années. Les gammes 40, 60 et 90 sont nos trois grandes lignes de produits qui vont se développer d’ici à 2020, avec des plateformes hybrides et électriques. Une version full electric fera son apparition à partir de 2019.
Nouvelle Volvo S90 Plug-in-Hybrid.
AM : Dernière question pour mieux vous connaitre. Quel est votre véhicule actuel ? Et le véhicule de vos rêves ?
Y P-D : En quelle Volvo je roule ? Toutes car je change régulièrement ! En ce moment, j’utilise un XC60 D5. C’est un parti pris car nous sommes à flux tendus sur le XC90 donc je privilégie les disponibilités du véhicule pour le réseau. Quant au véhicule de mes rêves, j’ai de la sympathie pour une anglaise qui s’appelle Aston Martin. J’aime beaucoup le coupé Vanquish mais également la DB4. J’aime les voitures anglaises mais je n’ai pas l’âme du collectionneur.
Yves Pasquier-Desvignes et le XC60, SUV compact premium le plus vendu de sa catégorie.
Un grand merci à Yves Pasquier-Desvignes pour cet entretien.
Très bon article sur une personnalité très intéressante.