Vente en ligne, pression des constructeurs, clients sur-informés… depuis quelques années, une petite musique résonne dans l’automobile. Celle qui annonce la fin programmée du vendeur automobile. Sans dire quand, on nous prédit que l’échéance est proche et inéluctable. D’ailleurs, on a pu lire d’excellents papiers sur le sujet récemment, comme cet article de l’Argus. Pourtant, on trouve aussi des vendeurs automobiles qui croient en leur métier et qui se font remarquer sur les réseaux sociaux. Parmi eux, j’ai rencontré Florian Lemoine. Entretien.
Automotive Marketing (AM) : Pourriez-vous nous présenter votre parcours professionnel?
Florian Lemoine : Cela fait treize ans que je travaille dans l’automobile, une vraie passion, en l’associant à mon intérêt fort pour la relation client. J’ai débuté en tant que commercial chez BMW puis chez Audi. Fin 2013, je suis devenu Product Genius en retournant dans le réseau BMW. C’était nouveau mais j’y croyais et je pensais que c’était vraiment l’avenir de la distribution automobile. En plus, c’était un poste qui correspondait bien à ma personnalité. C’est un poste que j’ai occupé durant sept ans et qui m’a permis vraiment de comprendre les attentes des clients, l’intérêt de connaître le marché, avoir une meilleure culture automobile. Et puis d’avoir une vision plus globale sur le commerce avec le sens du service et de la relation client.
Cette nouvelle approche basée sur l’écoute, la valeur ajoutée, la notion de service, d’histoire de la marque, de la connaissance du produit… ce poste a été un poste clé qui m’a permis de comprendre que le métier de commercial doit intégrer ces notions de Product Genius. Et donc de ne pas travailler comme la plupart des commerciaux d’aujourd’hui qui ont l’obsession du chiffre, de l’aspect financier. Des éléments qui viennent finalement naturellement dès lors qu’on se concentre sur le client et la notion de service. Ce sont des choses que j’applique aujourd’hui en étant devenu à nouveau commercial dans le réseau Mazda en 2020. Puis depuis le 1er septembre, référent commercial toujours dans le réseau Mazda sur un autre territoire.
AM : On lit beaucoup que le métier de vendeur automobile va disparaître et il y a une vraie négativité sur l’avenir. Qu’en pensez-vous?
Florian Lemoine : C’est en effet un discours que j’entends beaucoup autour de moi. Peut-être qu’il y a d’abord une notion d’âge ou d’ancienneté dans le métier qui joue sur ça. Il y a peut-être une certaine lassitude car le métier a beaucoup changé et continue d’évoluer en permanence. Tous les commerciaux n’ont pas pris en compte que les besoins des clients ont changé. Ils n’ont pas non plus pris en compte que c’est un métier évolutif et que parfois, pour reprendre du plaisir, il faut faire évoluer sa façon de travailler. J’ai l’impression que les personnes qui tiennent ce discours sont tombées dans une certaine routine négative et ne voient pas le bon côté du changement.
Oui, les marges sont de plus en plus étroites, il y a de plus en plus de remise commerciale, de concurrence, les clients sont de plus en plus informés, exigeants… Les politiques de rémunération des concessionnaires peuvent sembler moins attractives tout en étant plus contraignantes. Oui, nous ne sommes plus rémunérés que sur l’objectif de vente comme avant, qui était le critère qui déterminait un bon vendeur d’un moins bon. D’autres critères entrent en compte, et cela déplaît à certains. Oui, et alors? Le métier évolue, nous demande d’apporter plus de valeur ajoutée, plus de relation humaine, d’être très pro sur les nouvelles technologies, les formules de financement… alors oui on peut continuer de prendre du plaisir dans ce métier et d’être utile au constructeur, au concessionnaire et au client.
AM : Pour vous, le métier va-t-il disparaître?
Florian Lemoine : Non ! Si des vendeurs disparaissent, l’expression peut-être basique mais c’est celle qui me vient à l’esprit, c’est parce “qu’ils auront scié la branche sur laquelle ils sont assis”. Ils n’auront pas valorisé leur fonction et donc oui, on dira qu’on n’a plus besoin de commerciaux mais simplement de spécialistes produit.
AM : Alors comment définiriez-vous le métier de vendeur auto?
Florian Lemoine : De part mon expérience, je peux affirmer que le vendeur auto se doit aujourd’hui d’être un mix entre un conseiller commercial et un Product Genius (NDLR : spécialiste produit). C’est une personne qui doit réussir à faire passer l’intérêt du client avant le sien, en apportant naturellement ses connaissances au travers de beaucoup d’empathie. Il faut réussir ce cocktail là pour demain continuer à faire vivre ce métier.
AM : Finalement, n’est-ce pas revenir aux basiques du métier en étant vraiment un conseiller commercial?
Florian Lemoine : Le terme de vendeur, pour moi, est devenu un terme péjoratif. Aujourd’hui, on ne vend plus une voiture. On conseille une voiture ou une solution. Il y a aussi une prise de conscience à avoir dans les directions des groupes automobiles. On pense à tort que les vendeurs sont là pour gagner de l’argent, sont là pour destocker, pour vendre des financements… bref, vendre, vendre, vendre.
AM : On parle beaucoup de la vente en ligne avec des acteurs qui investissent fortement. Qu’en pensez-vous?
Florian Lemoine : Dans les marques pour lesquelles j’ai travaillées, je n’ai pas eu vraiment de concurrence par le canal web. Pour autant, les façons d’acheter ou de se renseigner ont évolué et ça m’arrive plus fréquemment que je ne l’aurais imaginé que des clients veuillent une relation commerciale à distance où je ne rencontre le client que le jour de la livraison. C’est un paramètre qu’il nous faut prendre en compte dans notre métier. Donc aujourd’hui, la vente totalement sur internet n’est pas un concurrent pour moi, mais elle pourrait le devenir si je n’ai pas de valeur ajoutée. Si je prends l’exemple avec un client : s’il appelle ou se rend en concession et qu’il est mal reçu, pas renseigné ou que je ne lui apporte aucun service ou conseil supplémentaire à ce qu’il peut lire sur le site web du constructeur, quel serait son intérêt de passer par moi?
Si on se comporte comme ça, oui on va favoriser l’émergence des ventes sur internet. Pour faire un parallèle, j’aime bien celui de l’émergence des caisses automatiques dans un supermarché. Si je passe en caisse, que je peux discuter avec la personne, qu’elle semble apprécier son travail et qu’on partage un mini-moment, j’aurais sans doute envie de conserver ce lien. A l’inverse, si je n’ai pas un bonjour, ni un sourire ou un mot sympa, j’irai directement en caisse automatique. Et demain, on regrettera qu’il n’y ait que des caisses automatisées. Dans l’automobile, on a encore la chance que les clients aient besoin de voir le véhicule, le toucher, l’essayer. Et comme c’est un achat important pour le foyer, de savoir à qui on l’achète, quels services ont va avoir, et ce besoin de dérouler son projet, se rassurer, avoir un feedback d’un interlocuteur qui va valider ou pas ses choix. Je pense qu’internet n’arrivera pas à ce degré d’expertise qu’on peut avoir en concession. Mais il nous faut préserver et renforcer ces plus-values.
AM : Pour autant, la crise a accéléré la digitalisation des ventes, vous en faites vous-même le constat?
Florian Lemoine : Oui, car de plus en plus de clients sont prêts à gérer à distance toutes les taches les plus fastidieuses. Notamment les taches administratives telles que renvoyer un bon de commande ou effectuer un virement. La seule chose c’est que de la même façon qu’en concession, ils vont mesurer leur niveau de satisfaction à distance. Ils vont donc être très vigilants sur la rapidité de réponse, sa qualité aussi bien dans la rédaction du mail que le contenu. Aussi, ils sont demandeurs de photos, de vidéos, d’explications détaillées sur les offres…
Avec ces éléments, le client va se sentir en confiance et va en effet valider la relation avec le conseiller commercial pour continuer son projet. Ainsi, moi je l’ai fait à de nombreuses reprises et j’ai toujours eu des bonnes surprises. Notamment car les clients apprécient mon degré d’implication et m’expliquent que tous les commerciaux ou concessionnaires ne se prêtent pas à ce jeu. Le message est souvent le même : “venez en concession, moi je ne fais pas d’offre à distance”. C’est sûr qu’en agissant comme ça, on revient à ce que je vous disais, on scie la branche…
AM : Etes-vous vigilant à votre e-réputation?
Florian Lemoine : Je ne m’étais jamais trop penché sur le sujet auparavant. Et je m’y suis mis grâce aux clients. Ceux qui viennent et qui me disent, dans l’échange, qu’ils sont venus chez moi car ils ont lu des avis Google, qu’ils ont comparé les concessions grâce à ces mêmes avis. Et quand ils lisent dans l’avis mon nom, je mesure l’impact incroyable que cela a. Les clients sont donc exigeants sur ces nouveaux critères.
AM : On peut lire de nombreux avis élogieux sur vous. Incitez-vous vos clients à mettre un commentaire?
Florian Lemoine : Si je vous disais que non… je vous mentirai! Mais je me suis donné une règle : dire au client de mettre un commentaire pour moi, pour me faire plaisir, ce serait maladroit. J’explique simplement au client que pour la marque comme pour mon concessionnaire, c’est important et intéressant d’avoir des retours. Je les invite donc à le faire s’ils souhaitent le faire. Je ne leur demande donc pas de me mettre un “10” ou “5 étoiles”. Mais simplement d’exprimer, en bien comme en moins bien, la qualité de nos échanges. Tous les clients ne le font pas spontanément, donc je leur suggère à la livraison pour être sûr que tout se soit bien passé. Et si je les incite à le faire, ce n’est pas parce que c’est bon pour mon égo de voir les cinq étoiles. Mais sur le net, ils osent donner leurs vraies impressions et c’est ce que j’aime lire. J’ai toujours orienté mon métier vers la satisfaction client alors oui, quand je lis des avis positifs, ça me conforte dans mon envie de poursuivre ce métier et vivre tous ces bons moments avec mes clients.
AM : Suivre sa e-réputation, voilà donc désormais un pré-requis du métier de conseiller commercial?
Florian Lemoine : Sans aucun doute. Il doit suivre sa e-réputation, celle de son entreprise, et être pro-actif sur le sujet. Par exemple, moi j’ai très tôt suivi les photos Google de ma concession. Qui étaient pour la plupart des photos mises par les clients et pas toujours valorisantes. Donc j’ai rapidement moi-même mis des photos de mon point de vente pour le valoriser et voir que certaines atteignent très vite des centaines de milliers de vues. De même, il faut être actif sur LinkedIn.
AM : Justement, c’est par LinkedIn que je vous ai repéré. Alors concrètement, à quoi ce réseau vous sert-il?
Florian Lemoine : Alors ce n’est pas forcément un réseau qui me fait vendre, mais je sais qu’on observe ce que j’y fais. Que cela augmente ma crédibilité, fait progresser mon niveau de professionnalisme. Ca me permet aussi de rester en veille sur le monde de l’automobile qui m’entoure, ou d’autres secteurs qui m’intéressent. C’est un peu mon fil d’actus. Et ça me permet aussi de partager des bonnes idées, des anecdotes. J’essaie par ce biais de revaloriser ce métier de commercial automobile.
AM : Et donc finalement, c’est quoi l’avenir du conseiller commercial?
Florian Lemoine : Il faut que ce soit quelqu’un qui n’est pas que des “qualités” professionnelles. Il faut des qualités humaines. Et je pense que l’ère COVID a accentué les attentes des clients en termes de relationnel, de sympathie, d’écoute, de bienveillance. Aujourd’hui, un commercial qui n’est pas comme ça, il lui manque quelque chose. C’est pour moi le point de départ : avoir envie de faire plaisir, de servir, de conseiller, d’apporter quelque chose. D’un point de vue professionnel, il lui faut aussi être très bien renseigné sur les produits qu’il va vendre, mais pas que. Sur le monde de l’automobile en général, et sur celui du commerce. Il faut toujours s’imaginer client et déceler toutes les évolutions autour.
D’autres facteurs entrent en compte : la réactivité, le niveau d’exigence, la e-réputation. Donc avoir conscience de choses qui ne touchent pas que le milieu automobile. Enfin, il faut bien se dire que le métier va encore changer, qu’il est en perpétuelle évolution, que le monde l’auto va encore bouger et que le maitre-mot c’est : s’adapter. Un conseiller commercial doit chercher à être acteur plutôt que subir. C’est un métier où l’on peut être force de proposition, mettre des choses en place, suggérer. Beaucoup de personnes sont à l’écoute, que ce soit les constructeurs comme les distributeurs. Car rien n’est écrit, et il faut ensemble dessiner et décider de cet avenir pour en tirer mutuellement du positif.
AM : Dans ce cadre, la formation doit-elle évoluer?
Florian Lemoine : Difficile de me prononcer sur les organismes de formation, je ne les côtoie pas. Mais j’observe en effet que la formation a l’air de vouloir se concentrer sur les basiques. C’est bien, car c’est important de les avoir. Mais ce n’est plus suffisant. Donc oui sans doute, la façon de former les conseillers commerciaux, de les recruter et même de les rémunérer doit évoluer. Aujourd’hui, il faut vraiment une sensibilisation importante sur l’aspect humain, technique, et sur la culture automobile, la relation client. Avoir une vraie culture du service client, plutôt que sur la formation de vente à proprement parlé.
AM : Vous parlez de l’évolution de la rémunération. Doit-on s’orienter vers un nouveau modèle sans commission?
Florian Lemoine : Personnellement, c’est quelque chose que je vivrais bien. Je ne consacre pas mon temps au client en fonction de la commission qu’il va me rapporter. Je passe le temps qu’il faut avec chacun, quel que soit le modèle qui cherche. Mais bien sûr, ce modèle de rémunération n’est possible qu’en intégrant tous les aspects cités avant. Et que le juge de paix ne soit donc pas seulement le nombre de voitures vendues à la fin du mois. Il est sûr qu’avec un tel mode de rémunération, on va perdre des commerciaux à l’ancienne. Mais on capterait aussi sans doute de nouveaux profils.
On peut imaginer aussi un modèle de rémunération mixte. Pas un quart de fixe et trois quarts de variable comme aujourd’hui, mais l’inverse. Et ce quart de variable sera sur de nouveaux items. On aura alors des profils qui travailleront moins dans le but ultime de vendre mais plus sur l’accompagnement du client. Mais cela nécessite une évolution globale, qui intégrerait par exemple une politique de prix fixe dans l’automobile. Et qu’on ne cherche pas à se concurrencer entre distributeurs parfois même de la même marque ou du même groupe. D’ailleurs, dans ma façon de travailler, la partie négociation est celle que j’aime le moins. Elle finit toujours par arriver, mais elle se passe finalement toujours bien dès lors que la valeur ajoutée de mon métier la rend plus secondaire pour le client.
Un grand merci à Florian pour cet échange. Vous pouvez le retrouver sur LinkedIn ici!
D’autres interviews : ici.
Voilà des propos de bon sens! On peut croire en notre métier, encore faut-il le faire correctement, ce que beaucoup oublient, A commencer par les constructeurs, dont la plupart des gens qui donnent les ordres n’ont jamais vendu ni acheté de voiture… Il faut aussi se remettre en question et accepter de changer, mettre à jour ses compétences.
Un bon conseiller commercial, humain oui compétent oui, par contre le problème : les dirigeants des concessions , qui ont aucune étude en ressources humaines ! Gérer du personnel humain ! Avec mes 28 ans expériences, j en ai vue de toutes les couleurs. La seule chose qui importe, c est, fait ta moyenne, jamais de tape dans le dos. Et c est de plus en plus difficile.
Très triste, c ar c est un métier que j’aime. Je suis humaine, et j aime rendre service aux clients, d’abord!
Intéressant article, mais ce monsieur fait il ces ventes? Car la pression des patrons est toujours plus forte, de la marque aussi alors on veut bien traiter le client, mais il faut avoir le temps…